91 | Sécurité alimentaire : au-delà de l’urgence

Le «milliard d’en bas» revêt donc des réalités bien différentes é et encore ne prend-il pas en compte la seule malnutrition, par carence (fer, vitamine A, etc. à «la faim cachée») ou par excès (surpoids et obésité), devenue un enjeu global. Tant que ne sera pas mieux qualifié ce que recouvre exactement ce milliard, il risque de représenter encore pour longtemps un problème insoluble et contraindra la communauté internationale à continuer de voler d’urgences en urgences.

Edito de Damien Conaré, rédacteur en chef

En juin 2009, la FAO estimait que le cap du milliard d’individus souffrant de la faim avait été dépassé. L’humanité compte donc un milliard de personnes sous-alimentées, soit 15 % de sa population, un niveau sans précédent. La flambée des prix des denrées alimentaires de 2007-2008, à laquelle a immédiatement succédé la crise économique mondiale, a aggravé une tendance déjà décevante depuis 1996. L’envol de la quasi-totalité des prix alimentaires, accompagné d’une extrême volatilité, a marqué la grande incertitude des marchés des produits agricoles. Un constat qui fait craindre une phase durable d’instabilité des prix agricoles, voire même, selon certains, «la fin des aliments bon marché».

Premières victimes, les populations les plus pauvres évidemment, rurales et urbaines, contraintes d ‘opérer des choix drastiques dans leurs dépenses essentielles (alimentation, santé, éducation), plongeant ainsi un peu plus dans le cercle vicieux de la pauvreté. Tout le monde le reconnaît aujourd’hui, l’objectif du Millénaire pour le développement, qui visait é réduire de moitié entre 1990 et 2015 la proportion de personnes sous-alimentées dans le monde, est largement hors de portée. Ce «milliard d’en bas» (bottom billion) est-il donc condamné aux promesses sans lendemains ? Faut-il se résoudre à l’idée quéil représente une minorité d’invisibles, ni citoyens du «tout-monde», pris qu’ils sont dans des conflits ou des états défaillants, ni même sujets economicus du grand marché mondial ?

L’actualité vient pourtant nous confronter à nouveau à cette minorité invisible, en butte à des conditions naturelles adverses. En Haïti d’abord, où la population est placée devant une grave situation d’urgence. Quitte d’ailleurs, au passage, à jeter le discrédit sur ces pauvres que l’on ne saurait voir (à Port-au-Prince, comme à La Nouvelle-Orléans du reste, on ne lutte pas pour sa survie, on «pille»).

Au Sahel ensuite ou, à la suite d’un fort déficit pluviométrique, la situation alimentaire dans l’est de la région (Niger, Burkina Faso, Tchad) suscite des inquiétudes pour les mois à venir. Le Programme alimentaire mondial et la FAO évoquent «un risque imminent d’insécurité alimentaire élevé pour les ménages vulnérables». En Inde enfin (pays-continent le plus atteint par la sous-alimentation et qui fait l’objet de notre dossier), où, après une année de sécheresse, les autorités s’inquiètent du déséquilibre croissant entre production alimentaire et croissance démographique, faisant craindre une pénurie des denrées de base.

Ces trois situations reflètent bien la diversité des formes de l’insécurité alimentaire : confrontation à une catastrophe naturelle exceptionnelle dans un pays pauvre ; déficit de production et donc de disponibilités alimentaires dans des zones rurales peu ou mal connectées au reste du marché ; difficultés structurelles à garantir l’autosuffisance alimentaire à l’échelle nationale pour une puissance émergente.

Le milliard revêt donc des réalités bien différentes à et encore ne prend-il pas en compte la seule malnutrition, par carence (fer, vitamine A, etc. à «la faim cachée») ou par excès (surpoids et obésité), devenue un enjeu global. Tant que ne sera pas mieux qualifié ce que recouvre exactement ce milliard, il risque de représenter encore pour longtemps un problème insoluble et contraindra la communauté internationale à continuer de voler d’urgences en urgences.

Sommaire

  • DOSSIER Inde
  • Repère Une situation alimentaire préoccupante
  • Biodiversité| Une option contre la crise
    alimentaire

    Suman Sahai, Gene Campaign
  • Loi de sécurité alimentaire| Une réforme indispensable ?,
    Sitaram Kumbhar, Université de Delhi
  • Foncier| L’Inde cultive l’Afrique,
    Dinesh C. Sharma, Journaliste, Mail Today
  • Kerala| Vers lé autosuffisance alimentaire ?,
    Pulapre Balakrishnan, Centre for Development Studies
  • Gujarat| Profiter de l’essor économique,
    Ashok Gulati et Ganga Shreedhar
    Institut international de recherche sur les politiques alimentaires
  • DOSSIER | Méditerranée
  • Climat| Un facteur de changement parmi d’autres
    Raphaël Billé & Benjamin Garnaud, Institut du développement durable et des relations internationales
  • Eau et agriculture| Des modèles condamnés à changer
    Holger Hoff, Stockholm Environment Institute
  • Tourisme| Un littoral toujours aussi attractif ?
    Alexandre Magnan, Institut du développement durable et des relations internationales
  • Alger| Contrer les risques d’inondations
    Nadjet Aroua & Ewa Berezowska-Azzag, École nationale supérieure d’architecture d’Alger
    • Pêche illégale : ce que peut le droit européen
    • Santé : accès aux soins au Sud
    • Climat : après l’orage de Copenhague, l’éclaircie de Mexico ?

89-90 | S’adapter maintenant

S'adapter maintenant

À trois semaines de la conférence de Copenhague, on peut raisonnablement prévoir que, sauf engagement politique fort de dernière minute, elle n’aboutira pas à un traité complet capable de relayer le protocole de Kyoto, qui engageait les pays industrialisés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) sur la période ;2008- 2012. Au mieux, un accord politique devrait être conclu, scellant si possible les principaux engagements (réduction des émissions et coopération financière et technologique avec les plus vulnérables). Les détails technique de l’accord seront alors finalisés en 2010.

Est-ce vraiment si grave ? Pas forcément. D’abord, la conclusion d’un accord international n’est pas une fin en soi : encore faut-il en assurer la mise en œuvre effective. Ensuite, l’effervescence politique et les attentes parfois démesurées entretenues par un «climat d’urgence» ne doivent pas hypothéquer plusieurs éléments essentiels.

Mais pourquoi un tel pessimisme à la veille du rendez-vous de «Hopenhague», comme l’ont rebaptisé certains ? Sans doute parce que, devenue un modèle pour l’action collective, cette négociation a fini par cristalliser toutes les attentes.

Premièrement, n’oublions pas que les négociations internationales sur le climat durent depuis dix-huit ans. Elles s’inscrivent donc dans un temps long, qui a vu notammen la communauté scientifique s’organiser pour développer une expertise collective sans précédent par son ampleur. Malgré les nombreuses incertitudes et les précautions d’usage, cette expertise a permis d’informer les décideurs politiques et d’alerter l’opinion publique sur la nature du problème et de ses conséquences. Ceci dans un domaine particulièrement complexe, qui nécessite la prise en compte quasi permanente de nouveaux critères pour évaluer un risque, dont les conséquences sont très variées.

Deuxièmement, et malgré cette complexité, n’oublions pas non plus que la plupart des pays ont lancé, ou mis à l’étude, des politiques de réduction de leurs émissions de GES : projet de loi aux états-Unis ; «paquet énergie-climat» dans l’Union européenne ; plans climat au Brésil, en Inde, au Mexique, en Australie et en Chine. Sans parler des multiples engagements de réseaux internationaux de collectivités locales ou d’industriels. On peut évidemment critiquer le peu d’ambition de certaines de ces initiatives, pas forcément à la hauteur de l’enjeu. Elles contredisent néanmoins l’apparent immobilisme des négociations.

De fait, même si globalement ses résultats ne sont pas glorieux, si les «mauvais élèves», Canada en tête, ne sont pas sanctionnés, et si les états-Unis ont regardé passer le train, le protocole de Kyoto aura au moins contribué à fixer un cap.

Certes, il va désormais falloir passer une vitesse largement supérieure. Mais pourquoi un tel pessimisme à la veille du rendez-vous de «Hopenhague», comme l’ont rebaptisé certains ? Sans doute parce que, devenue un modèle pour l’action collective, cette négociation a fini par cristalliser toutes les attentes. Victime de son succès en quelque sorte. Comme ce fut e cas il y a tout juste dix ans à Seattle pour les négociations commerciales multilatérales de ’OMC qui, depuis, piétinent… Or, quels qu’en soient les résultats, Copenhague ne proposera qu’une partie de la solution : le changement climatique ne pose pas une question à laquelle l faudrait trouver une réponse. Il requiert plutôt une dynamique multiforme pour repenser nos modèles de croissance et invite à dessiner une nouvelle géopolitique, où les puissances émergentes posent clairement le rôle qu’elles entendent jouer dans une économie plus sobre en carbone. Copenhague ne sera donc qu’une étape, forcément décevante, dans la transition qui devra s’opérer.

Damien Conaré,
rédacteur en chef

  • S’adapter maintenant ?
    Entretiens avec Michel Colombier, Institut du développement durable et des relations internationales,
    Jean-Pascal Van Ypersele , Vice-président du GIEC, institut d’astronomie et de géophysique,
    Laurence Tubiana , fondatrice de l’Iddri, directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étrangères et européennes
    et Andreas Spiegel, Swiss reinsurance Company

  • Union européenne| Quels potentiels d’adaptation ?
    Valentina Bosetti et Enrica de Cian,
    Fondazione Eni Enrico Mattei
  • REPERES
    De la science à l’engagement politique
  • Science et politique| De la recherche à l’engagement collectif
    Lionel Charles, Fractal
    et Hervé Le Treut, Centre national de la recherche scientifique
  • REPERES
    GIEC : consensus scientifique et politique
  • REPERES
    Changements climatiques avérés et incertitudes
  • Solidarité internationale| Résoudre l’équation climat-développement
    Anne Chetaille, Groupe de recherche et d’échanges technologiques
  • Copenhague| Que serait un bon accord ?
    Emmanuel Guérin, Institut du développement durable et des relations internationales
  • REPERES
    Copenhague : les enjeux de la négociation
  • DOSSIER | Les plus vulnérables
  • Adaptation| Les pistes de financement
    Manish Bapna & Heather McGray, World resources institute
  • Pays en développement| Combler le fossé
    Katell le Goulven, Commission sur les changements climatiques et le développement
  • Migrations| Une stratégie d’adaptation ?
    François Gemenne, Institut du développement durable et des relations internationales
  • Pacifique| Des petites îles très exposées
     Jon Barnett, université de Melbourne
    et John Campbell, université de Waikato
  • Johannesburg| Priorité aux mal-logés
    Linda Phalatse & Given Mbara, ville de Johannesburg
  • Haïti| Des mesures, vite !
    Remy Sietchiping, Programme des nations unies pour les établissements humains
  • Pays-Bas| Se protéger des eaux, encore !
    Sonja Dipp, Peter Bosch & Kees van Deelen, Netherlands Organisation for Applied Scientific Research
  • Inde| Les mégapoles en première ligne
    K. Shadananan nair, Nansen Environmental Research Centre India
  • DOSSIER
    Méditerranée
  • Climat| Un facteur de changement parmi d’autres
    Raphaël Billé & Benjamin Garnaud, Institut du développement durable et des relations internationales
  • Eau et agriculture| Des modèles condamnés à changer
    Holger Hoff, Stockholm Environment Institute
  • Tourisme| Un littoral toujours aussi attractif ?
    Alexandre Magnan, Institut du développement durable et des relations internationales
  • Alger| Contrer les risques d’inondations
    Nadjet Aroua & Ewa Berezowska-Azzag,
    Ecole nationale supérieure d’architecture d’Alger
    • L’ACTUALITE DU TRIMESTRE
      sélectionnée par la rédaction du Courrier de la planète
    • OMC : les pays africains toujours mobilisés autour du coton
    • Australie : changement climatique, changement politique
    • Agriculture bio : le discours des institutions internationales
    • rebond : «Injonctions internationales»