Edito
Comme vous avez pu le constater, cette nouvelle livraison du Courrier de la planète arrive en retard. Ce délai est lié à des difficultés économiques : très largement dépendante de fonds publics, la revue a subi les conséquences de la rigueur budgétaire. Pour poursuivre notre activité de publication, nous nous sommes tournés assez naturellement vers le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) en sollicitant leur soutien. Le Cirad qui nous héberge depuis trois ans et avec qui nous avons réalisé des numéros conjoints sur les thèmes de la sécurité alimentaire et du commerce équitable. L’Iddri avec qui, depuis ses débuts, nous nous nourrissons de nos travaux respectifs. Malgré ces décisions stratégiques, notre projet reste le même : valoriser et mettre en perspective les travaux de recherche, en les croisant avec les points de vue de la société civile et des opérateurs politiques. Entre « science et politique » nous resterons donc, comme le sujet que nous développons ce trimestre-ci.
Par certains aspects, les sciences n’ont pas beaucoup changé au cours des décennies passées, en particulier pour ce qui concerne leur organisation interne, disciplinaire, la vérification par les pairs, etc. En revanche, leur insertion dans la société et les choix collectifs, elle, a beaucoup évolué. Il y a quelques temps encore, nous aurions pu titrer «sciences et politique». Aujourd’hui, nous titrons «savoirs et gouvernance». Un simple déplacement sémantique ? Pas vraiment. Le modèle d’hier faisait de la science une machine de production de faits et de vérités (même partielles, provisoires ou sujettes à contestation). Les experts étaient là pour transformer dans le champ politique (c’est- à-dire vers l’autorité de gouvernement ou l’état) les acquis scientifiques. Un modèle rationaliste et de haut vers le bas pourrait-on simplifier.
Or aujourd’hui — et la mutation environnementale et les questions globales n’y sont pas pour rien –, il ne s’agit plus seulement de décider, mais de gouverner, avec une multitude d’acteurs, à différentes échelles et suivant différents objectifs, intérêts et contraintes combinés. Comme le reste de la société, les sciences et techniques sont prises dans un processus d’apprentissage permanent, ouvert, réflexif, polémique aussi. Leurs programmes sont questionnés, souvent pilotés par les questions collectives et le bien public, mais aussi, dans le même temps, par des intérêts privés (ils sont alors source de brevets et de profits). Communautés épistémiques, programmes cadres, multidisciplinarité, nouvelles techniques de gestion, privatisation, commissions d’éthique, questionnements du public, etc. : si le processus interne de véridiction de la science a peu bougé, son intervention de plus en plus massive dans les gouvernances globales, nationales et locales est telle que tout son contexte d’élaboration, de pilotage et d’implémentation a modifié sa position dans l’ensemble des savoirs mobilisés par les acteurs pour agir. Ce sont ces changements qu’explorent les différents articles et entretiens de ce numéro du Courrier de la planète.
François Lerin, directeur de publication
Sommaire du numéro
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- Histoire| Les marchands de doute
Entretien avec Naomi Oreskes, University of California, San Diego - UICN| Le tournant des années 1980
Selim louafi, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement - Protocole de Montréal| L’accord modèle
Richard J. Smith, Peter G. Peterson Institute For International Economics - Seuil des 2 °C| Une projection faite objectif
Paul-Alain Ravon et Béatrice Cointe, Sciences-Po - Régime de véridiction| La force des controverses
Entretien avec Michel Callon, Centre de sociologie de l’innovation - Agrimonde| Perspective 2050
Bernard Hubert, Agropolis international et Patrick Caron , Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement - Gouvernance| De l’innovation en démocratie
Sheila Jasanoff, Harvard Kennedy School - Evidence-based policy| La qualité des preuves
Catherine Laurent, Institut national de la recherche agronomique - Production du savoir| Repenser la science
Helga Nowotny, Swiss Federal institute of technology Peter Scott , Kingston University Michael Gibbons , Association of Commonwealth Universities - Arènes et acteurs| Coproduction des connaissances
Entretien avec Sybille van den Hove, Median SCP - Millennium Ecosystem Assessment| Expertise mondiale, intérêts locaux
Marie Hrabanski, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement - Fonds mondial| Bonne santé !
Lorrae van Kerkhoff, the Australian National University Nicole A. Szlezek Harvard University - Agriculture| Pour une connaissance partagée
Judi Wakhungu , African Centre for Technology Studies - OGM| Compromissions européennes
Arnaud Apoteker , Greenpeace France - REPÈRES| Des connaissances pertinentes, crédibles et légitimes
- Histoire| Les marchands de doute
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Dossier| Controverses climatiques
- Relations publiques| Doutes et désinformations
James Hoggan, Hoggan & Associates - Médias| Un combat de rue ?
Sylvestre Huet, Journaliste à Libération - Science du climat| Quelles controverses ?
Entretien avec Valérie Masson-Delmotte, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) - Climato-scepticisme| Les facteurs favorables
Edwin Zacca, Université libre de Bruxelles - France| Le climato-scepticisme est-il une contre-expertise ?
Olivier Godard, CNRS et école polytechnique - Repères | Un cadre d’analyse des controverses climatiques
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L’actualité de trimestre sélectionnée par la rédaction du Courrier de la planète
- Antilles : pollution au chlordécone
- Conjoncture : l’Afrique émergeante
- Biodiversité : restaurer plutôt que conserver
- Relations publiques| Doutes et désinformations